Capture d'écran du jeu

BIT.TRIP CORE

CORE est une prison qui libère le rythme interne.

Publié le 5 avril 2019, écrit le 8 septembre 2014 - Jeux vidéo

Exploration - Gaijin Games

Suite directe de BIT.TRIP BEAT, CORE en reprend la philosophie générale et l'univers, mais change presque tout au niveau des mécaniques de jeu. C'est une caractéristique que l'on retrouvera à travers toute la série. Chaque épisode explore une facette différente des deux prismes que sont le jeu de rythme et le shoot'em up. Ainsi, chaque opus est différent dans la forme, mais similaire dans le fond. Il s'agit moins d'un changement que d'une simple variation, un pas de côté dans l'univers BIT.TRIP.

Si le rythme dans BEAT était une notion présente mais pas nécessairement appliquée au pied de la lettre, CORE remet les pendules à l'heure et propose aux joueurs et aux joueuses un vrai jeu de rythme pur et dur, dans lequel il faut appuyer sur un bouton au bon moment tout en orientant la croix directionnelle dans la bonne direction. La combinaison des deux permet de diriger le rayon du cœur au centre de l'écran, un CORE rouge figé, immobile, qui verra passer devant lui de nombreuses vagues de pixels. La sauce a une couleur différente, mais l'odeur a la même: il s'agit là d'empêcher les bits de dépasser la croix, tout comme il fallait les bloquer avec la raquette dans le premier opus, ni plus ni moins. Chaque bit attrapé émet un son qui contribue à la construction globale du niveau et de la musique. Tout comme dans BEAT, réussir à enchaîner les vagues augmente la qualité globale du son et de l'image, tandis que des échecs répétés entraînent une détérioration progressive de l'ensemble, jusqu'à retomber dans ce fatidique NETHER, où le balayage de l'écran en noir et blanc et le silence à peine dérangé par les bips laconiques des bits signifient un arrêt imminent et définitif de l'expérience si rien n'est fait pour reprendre le contrôle du jeu.

Le rythme de BEAT était poétique, celui de CORE est mathématique. Basé sur la musique même, il faudra irrémédiablement s'aider de celle-ci pour comprendre et assimiler les vagues toujours plus complexes que le jeu affiche à l'écran. Ici les bits n'accompagnent pas la musique, ils sont la musique, du reste fantastique. J'en veux pour preuve que rater le passage au niveau supérieur et louper l'élévation musicale qui l'accompagne devient nettement plus handicapant dans CORE que dans BEAT, certaines séquences s'appuyant sur la condition d'avoir tout réussi jusqu'ici afin de se dérouler correctement, sous peine d'être complètement décalé et perdre le fil de l'action. Dans un sens, la rigueur rythmique qui se veut la base des mécaniques de CORE rend le jeu à la fois sensiblement plus difficile d'accès que BEAT, mais également beaucoup plus satisfaisant à comprendre une fois qu'on a saisi les rouages internes, car ces derniers sont automatiques, logiques, et se répètent. Ce sont des formules qui évoluent, se complexifient et s'ancrent dans la musique pour en tirer une sensation de construire quelque chose. Les séquences sont de vraies séquences, dans le sens où elles vont régulièrement revenir, et seront toujours les mêmes. Dès que les bases sont là, il s'agit ni plus ni moins que de suivre scrupuleusement l'ordre établi afin de voir la magie opérer.

Capture d'écran du jeu

En effet, il y a toujours autant de magie dans CORE qu'il y en avait précédemment dans BEAT. De la frustrante rigourosité du jeu naît un ineffable sentiment de satisfaction proche de la catharsis. C'est là toute la particularité de CORE qui parvient, en renversant radicalement le sens apparemment initié dans le premier opus, à créer quelque chose d'extraordinaire qui s'inscrit finalement dans ce sens, quand bien même tout oppose les deux jeux.

BEAT était une ode à la liberté, avec une raquette libre d'aller de haut en bas sur toute la hauteur de l'écran, afin de bloquer les pixels; CORE est une prison, avec un cœur rouge qui ne bouge pas, et ne bougera jamais. Les seules actions possibles sont d'orienter le tir dans quatre directions et tirer afin de bloquer tout ce qui vient à l'écran. On se surprend à être frustré, voire littéralement étouffé par ce manque de libertés. CORE est anxiogène, sombre et terriblement claustrophobique. L'identification est difficile à faire et pourtant pleine de sens: sommes-nous ce CORE piégé au centre de l'écran, incapable de se mouvoir, incapable de faire quoi que ce soit à part voir les pixels voler autour de nous ? L'univers cloisonné et significativement plus déprimant du jeu est tout aussi cryptique que dans BEAT, mais à l'instar du premier opus, se révèle être riche de sens.

Si dans BEAT il était question de naître, dans CORE il est question d'explorer son corps et l'univers qui nous entoure. Le cœur rouge figé au milieu, incapable de bouger tout seul et condamné à rester sur place, il s'agit d'essayer de comprendre ce qui se passe autour de nous et trouver notre place au cœur de tout ça, littéralement. Qui sommes-nous ? Que sommes-nous ? Ces questions traversent le jeu à la sauce BIT.TRIP, tout en métaphores et en expériences sonores, visuelles et ludiques. Ainsi, les images en arrière-plan au premier abord très incompréhensibles nous font voyager au cœur (littéralement, à nouveau) d'un mécanisme bien huilé, celui de notre corps. Avec CORE, Commander Video et le joueur ou la joueuse sont tous deux des petits enfants qui grandissent en rythme et se développent ensemble afin de se libérer des carcans et explorer l'univers, à la fois intérieur et extérieur, comme en témoigne les noms des niveaux. DISCOVERY, tout d'abord, EXPLORATION ensuite, et CONTROL pour terminer le voyage. Lorsque enfin Commander Video termine son périple intérieur et se dresse sur ses deux jambes tout seul, prêt à affronter le monde qui l'attend dehors, c'est pour mieux rencontrer un être qui lui ressemble, ce qui le pousse à conclure "I AM NOT ALONE". Non, nous ne sommes pas seuls. Nous ne l'avons jamais été. Qui sont ces gens dehors ? Sont-ils comme moi ? Comment agir et interagir avec eux ? La direction du prochain opus dans la série est ouverte, il nous faut l'emprunter à présent.

Capture d'écran du jeu

Toujours dans l'optique de raconter une histoire universelle, celle de l'homme à travers le périple de Commander Video dans son univers psychédélique, BIT.TRIP tâtonne et explore les variations possibles, passant d'un système de jeu à l'autre. Ainsi, CORE est sans nul doute le passage le plus frustrant et le plus difficile de la série, et il est évident que le jeu ne sera pas pour tout le monde. Face à BEAT, très accessible tant dans ses mécanismes de jeu que dans sa portée métaphorique, CORE est une claque qui mettra pas mal de monde à terre. Le simple fait de contrôler la croix au centre de l'écran est peu intuitif, et il faudra un bon temps d'adaptation avant de véritablement saisir tout le principe des pixels qui passent devant les lignes de tir (sans compter les moments bonus qui inclinent la croix de 90°, alors que vous étiez juste sur le point de comprendre comment cela fonctionnait). Les vagues de bits viennent de tous les côtés, sans répit ni gants. Il en vient de partout, à droite, à gauche, en biais, en rotation autour de la croix rouge, tout seul ou par groupe de trois. Les tableaux formés sont traversés de lignes et de diagonales qui occupent l'écran et le quadrillent pour former des images persistantes. Les couleurs s'enchaînent avec plus de vivacité que dans BEAT. Le rythme, plus mathématique, est également plus soutenu. La musique ne pardonne pas un seul écart. Preuve s'il en faut que CORE est nettement un cran au-dessus par rapport à BEAT en terme de difficulté, il est possible après avoir rempli une barre de déclencher une bombe qui éliminera tous les pixels à l'écran, outil directement originaire des shoot'em up dont CORE s'inspire.

Néanmoins, malgré la difficulté assez rebutante, CORE est un pur plaisir vidéo-ludique pour ceux qui veulent continuer le voyage avec Commander Video. Le sentiment de satisfaction qui accompagne le franchissement de certains obstacles est sans doute le plus grand des moteurs lorsqu'on aborde un jeu vidéo, et CORE regorge de moments qui viennent titiller cette fierté de joueur, jusqu'à faire en sorte que le niveau 2 soit le plus difficile des trois, afin de récompenser avec le dernier niveau ceux qui ont persévéré jusqu'au bout. Le voyage sera dur, mais le jeu en vaut la chandelle. Avec CORE, la série BIT.TRIP enfonce ses griffes dans le territoire des jeux qui bouleversent l'être et le font sortir grandi d'une confrontation avec le medium du jeu vidéo et prouve une nouvelle fois qu'il suffit de quelques pixels et d'une solide idée pour créer une expérience unique.